mardi 1 décembre 2009

Là où la pensée n'est pas





La pensée a la particularité de créer des formes. Lorsque nous pensons à quelqu'un, sa forme apparaît dans notre esprit. Il en est de même pour les circonstances et situations. Lorsque nous y pensons, des formes qui les représentent apparaissent dans l'esprit, et nous entrons en relation avec ces formes comme si elles étaient la réalité en soi.

La forme princeps est la pensée moi. C'est elle que l'on pourrait nommer la pensée originelle. Cette pensée moi contient un aperçu instantané de ce que nous pensons être, à savoir le corps, la personnalité et tous les conditionnements qui s'y rattachent.

Une pensée en tant que forme est une image figée d'une réalité qui ne peut être fixée, étant constamment mouvante. La pensée d'une rivière n'est qu'une représentation de la rivière, mais n'a pas le pouvoir de mouiller. La pensée d'un bijou n'est qu'une représentation du bijou, mais ne peut être portée. La pensée d'une personne n'est que la représentation d'une personne, mais ne peut être touchée.

La pensée a donc un pouvoir de représentation, mais n'est pas en soi la réalité de ce qu'elle représente.

Vient ensuite la relation qui s'installe avec cette forme.

La pensée moi émerge dans l'esprit. Je me confonds avec elle. Je suis cela. Dans cette fusion et confusion, j'oublie la réalité de ce que je suis. J'oublie que je suis le substratum dans laquelle la pensée émerge. J'oublie que sans moi en tant que conscience, la pensée ne pourrait apparaître, de la même manière que la lettre ne peut se former sans support sur quoi s'apposer.

Aussi subtiles et raffinées que soient les pensées, elles dépendent toutes d'un support pour pouvoir exister.

Ce support est souvent nommé conscience, mais la pensée de ce que la conscience peut être n'est pas la conscience elle-même, puisque cette pensée émerge dans la conscience qui la supporte.

La conscience a la particularité de ne pas avoir d'autre support qu'elle-même. On peut la dire sans support, car elle supporte la totalité de la manifestation, sans pour autant avoir besoin de support pour elle-même.

Les pensées ont un pouvoir d'expression. La pensée d'un parfum s'accompagne d'une sensation, une odeur qui lui est associée. La pensée est ainsi rattachée à la mémoire. La pensée est mémoire. Imaginez un instant être absolument sans mémoire, aussi vide que peut l'être le vide absolu ou bien la manière dont on se le représente. Dans ce vide absolu, la pensée ne trouve nul aliment pour se constituer. Sans aliment, elle ne peut naître. Sans naissance, elle n'est pas.

Cette expérience du vide absolu est goûtée lorsque l'esprit est silencieux, que ce soit un silence de survenue spontanée ou bien un silence induit par l'abandon du bruit, le bruit désignant ici l'agitation mentale.

Lorsque notre esprit est vide de contenu, il est aussi vide de pensée, et vide de mémoire. Et pourtant, sans pensée et sans mémoire, le sentiment d'être est toujours présent. L'indéniable pouvoir de l'être, qui n'a pas besoin d'être pensé pour être, qui n'a pas besoin d'être représenté pour s'affirmer
.

La nature de notre être est ainsi libre, aussi paisible et silencieuse que la profondeur de la mer, aussi pleine et dense que l'eau condensée.

La pensée a le pouvoir de ramener la conscience à sa nature propre. En suivant le fil de la pensée, se découvre l'espace de conscience qui la contient. C'est vers lui que se dirige toute quête et c'est en lui que se résout toute quête. Inutile donc de se perdre dans le dédale des pensées pour que l'attention puisse se retourner vers là d'où elle vient.

Rendons donc hommage à la rayonnante non-pensée, qui rend caduque tout effort de penser et libère de l'entrave que la pensée représente, dès lors qu'elle est confondue avec la réalité.


Jean-Marc Mantel



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