mercredi 24 février 2010

La liberté, Joaquim







La liberté, dans son acception commune, c’est la capacité de mettre en œuvre sans contrainte d’aucune sorte les dispositions de sa propre nature. Les choix qu’on opère sur cette base répondent ainsi aux dispositions qui sont les nôtres. C’est une position naïve, bien sûr, qui ne résiste pas à un examen critique. Car comme l’a très bien montré Pierre, ces dispositions qui sont les miennes relèvent toujours, en dernières analyse, de contingences étrangères à ce “moi” qui s’enorgueillit, bien à tort évidemment, d’avoir opéré librement un choix. Il a simplement suivi une pente, et il lui fut d’autant plus aisé de la suivre qu’elle était plus marquée.
Ainsi seulement a-t-on l’impression que le choix coule de source, et ainsi seulement procure-t-il un sentiment de liberté. Une liberté parfaitement illusoire, comme chacun l’a bien vu.
Car un choix, pour qu’il soit vraiment libre, ne devrait pas simplement répondre à des exigences découlant d’une nature qui m’a été prêtée par la biologie et par l’éducation, mais il devrait découler de ma propre nature en tant que je suis “moi”. La question de la liberté rejoint ici la question de la nature de “je”. On en a beaucoup parlé sur le forum: “je”, l’ego. “Je” est ce qui fait que “quelque chose” apparaît, c’est par lui que le monde se dévoile sous la forme d’un monde-pour-moi. Le monde ne prend une apparence qu’au moment où c’est à “moi” qu’il apparaît. Sans “moi”, je ne pourrais rien dire de lui, il serait non-existence. Et pourtant, ce n’est que de lui que je peux dire quelque chose, et nullement de moi. “Moi” n’est que la scène sur laquelle se déroule le théâtre du monde. “Je” suis le spectateur, l’oeil qui regarde, mais qui ne peut se voir lui-même. Car aussitôt qu’on retire tous les éléments de cette pièce, et qu’on laisse la scène vide, il ne reste littéralement plus rien. “Je” n’est rien de substantiel, il n’est qu’une sorte de qualité attachée aux acteurs de ce théâtre, par laquelle ils deviennent “miens”. L’éveil, c’est découvrir que “je” n’est pas qu’une simple scène de théâtre. “Je” se perçoit comme un simple réceptacle, parce qu’il dort. Mais aussitôt qu’il bouge, qu’il s’éveille, qu’il se saisit comme existant, il se découvre comme ce qui fait que le monde est. Les choses sont renversées: ce n’est plus parce que le théâtre du monde se déroule dans ma conscience, que je me perçois moi-même comme être conscient, mais c’est parce que “je suis” que le monde “est”. Les deux termes se révèlent d’ailleurs identiques: “je suis”, “le monde est”. A partir de là, le problème de la liberté apparaît sous un point de vue totalement différent: la liberté n’est plus à voir comme l’expression spécifique d’une insaisissable singularité de ma nature; elle est le jeu toujours neuf qui naît de ma rencontre avec le monde. Voir un objet, le toucher, quand en lui c’est “je” qui se révèle, c’est aller au travers de chaque événement à la rencontre de sa propre liberté. Une liberté qui a bien ce goût qu’on recherchait avant cela sans jamais le toucher vraiment: un jeu totalement gratuit, en même temps que totalement créateur. Les noces par lesquelles le monde m’engendre. Il n’est plus nécessaire alors d’exprimer une hypothétique nature ultime qui serait mienne pour me croire libre, il n’est qu’à naître à travers chaque contact avec le monde.


Source : http://www.cafe-eveil.org/
(posté avec l'aimable aval de Joaquim, merci !)



mercredi 17 février 2010

mots






Parfois,

je suis saoulée par les mots.
J'en suis saturée, dénaturée.

Alors, je désire m'enrober de silence,
afin d'être sublimement nue.
C'est là son paradoxe : on s'habille de silence pour être totalement dépouillé.

Les mots attrapent, agrippent.
C'est avec les mots qu'on possède l'Autre.
Avec eux qu'on agit sur l'Autre.

Une trêve de mots est parfois délicieusement libératrice !




mardi 2 février 2010

Andrew Cohen





La quatrième loi se nomme la vérité de l’impersonnalité. Cette loi affirme qu’en fin de compte tous les aspects de notre expérience personnelle peuvent être regardés depuis une perspective qui est totalement impersonnelle. Et c’est seulement à partir de cette perspective vaste et universelle, que la véritable liberté peut être découverte.

Le point de vue impersonnel nous révèle que l’ego, ou sens d’être un moi séparé, n’est rien de plus qu’une illusion d’unicité créée d’instant en instant par notre habitude compulsive de personnaliser presque toutes nos pensées, sentiments et sensations. La vérité est que l’expérience humaine ne saurait jamais être une affaire personnelle. La plupart des hauts et bas que nous traversons et que nous revendiquons mécaniquement comme « miens » sont en fait scandaleusement impersonnels. Dans la perspective la plus vaste, toute l’expérience humaine peut être vue comme faisant partie d’un processus – un processus évolutif qui se développe dans le temps. Notre propre expérience personnelle de ce processus, dans toutes ses dimensions - internes ou externes, grossières ou subtiles – ne représente en fin de compte qu’une toute petite portion d’un déploiement infini. Les pensées et les émotions qui émergent dans la conscience individuelle sont le reflet d’habitudes et de structures psychologiques et émotionnelles qui se sont développées lentement sur des centaines de milliers d’années.

Si, à la lumière de ce plus grand contexte dans lequel nous vivons, nous prenons du recul et commençons à regarder de plus en plus objectivement, nous allons lentement mais sûrement reconnaître par nous-même la nature impersonnelle de toute notre expérience. Dans cette reconnaissance, la dimension personnelle nous deviendra soudain totalement transparente. Cette révélation, même si seulement temporaire, va complètement saper toutes les croyances qui soutiennent notre conviction d’être une entité individuelle et unique, vivant dans une sorte de bulle séparée, mystérieusement isolée de tout ce qui existe. Nous sommes un processus. Osons y faire face et nous deviendrons transparents à nous-mêmes.

Le personnel est simplement le voile qui crée l’illusion de séparation qu’est l’ego. C’est une illusion forte, puissante et profonde. La plupart d’entre nous passons notre vie entière derrière ce voile, sans jamais aller au delà, sauf peut-être en de brefs aperçus d’états de conscience supérieurs. Mais si nous sommes prêts à faire face à la vérité de l’impersonnalité, et avons le courage de voir au travers de notre sentiment personnel de nous-même, nous découvrirons la nature éminemment impersonnelle du Soi Authentique, que nous sommes réellement. En embrassant la perspective impersonnelle, notre identification et notre allégeance basculent d’une manière spectaculaire des soucis de l’ego vers la passion impersonnelle du Soi Authentique - qui lui ne s’intéresse qu’à l’avenir de notre processus de développement collectif. Pour le Soi Authentique, le personnel est totalement hors de propos. Nous pouvons encore faire l’expérience de la dimension personnelle - éprouver les peurs, névroses et compulsions irrationnelles de l’ego - mais si notre allégeance est au Soi Authentique, nous découvrons de façon miraculeuse que nous avons la force émotionnelle, psychologique et spirituelle pour pouvoir y faire face. Pourquoi ? Parce que nous savons que nous ne sommes qu’une petite portion d’un vaste processus impersonnel. Lorsque nous repoussons le voile du personnel, nous découvrons une objectivité radicale qui nous libère, maintenant, pour participer consciemment au plus haut niveau de ce processus, qui est l’évolution de la conscience elle-même.