lundi 20 avril 2009

L'objet de mon sentiment est la cause de mon sentiment





L’amoureux n’en doute pas : celle qu’il aime est la plus merveilleuse des femmes... Et c’est pour ça qu’il l’aime ! Le haineux n’en démord pas : l’objet de sa haine est le pire des individus... Et c’est pour ça qu’il le déteste. Spontanément, sans même y penser, nous tenons l’objet de nos sentiments pour la cause de nos sentiments.

Et nous agissons en fonction de cette croyance.

Celle-ci présuppose que nos sentiments nous renseignent sur le monde extérieur. Mais en sommes-nous si sûrs ? Un sentiment est une sensation de soi, la manière dont nous nous percevons nous-même dans une situation donnée. Pourquoi nous renseignerait-il sur ce qui n’est pas nous ? Parce que le sentiment a un objet, dira-t-on. “Mon amour pour cette femme me dit l’être qu’elle est”... Vision romantique, mais séduit-elle autant si on la renverse : “ma haine pour cet homme me renseigne sur l’être qu’il est” ? En réalité, ce n’est pas le sentiment qui nous met en relation avec ce qui n’est pas nous, mais la perception : la sensation, l’intuition. Le sentiment n’est qu’un rapport à soi-même, et son objet n’en est pas la cause. Il n’en est que l’occasion. À l’occasion de la perception de cette femme, je suis donné à moi-même en état de désir amoureux.

Je peux lui dire merci de m’offrir la chance de m’éprouver moi-même dans cet état amoureux, de me connaître moi-même dans cette potentialité de mon être. Mais il ne m’est pas nécessaire de projeter sur elle un ensemble de qualités qui seraient l’explication de mon état. Les psychanalystes le savent : les raisons pour lesquelles le désir amoureux s’éveille à l’occasion de la présence de tel être plutôt que de tel autre sont à chercher en soi-même - et c’est un espoir pour celui qui souffre à répétition de ses amours ! Croire que l’objet du sentiment est la cause du sentiment, cela s’appelle l’attachement. J’attache en effet mes sentiments au monde, en imaginant que les événements qui s’y produisent sont l’origine des états de conscience qui me traversent. Je forge ainsi l’espoir illusoire qu’il me suffit de contrôler mon environnement pour être le maître de mes états de conscience : je veux le pouvoir sur le monde, pour être le dieu de mes émotions. Mais ce n’est qu’un fantasme : notre volonté ne peut être source du sentiment qui nous traverse. Expression de notre nature profonde, celui-ci nous est donné, puis il s’en va. C’est un événement intérieur, sur lequel nous n’avons pas plus de prise que sur le temps qu’il fait !

À vouloir, pour éviter la souffrance, être la source de ses propres états et manipuler ses propres sentiments, on ne fait que refuser le surgissement spontané de la vie à travers soi. Et c’est la plus grande cause de souffrance !

Le paradoxe de l’attachement est cruel : nos sentiments sont notre seul rapport intime à nous-même - et nous les vivons comme ce qui nous jette hors de nous-même, en nous polarisant sur un objet du monde ! Ainsi, selon l’expression si juste : “nous ne nous sentons plus”, nous ne sommes plus conscients de nous-même. La voie du détachement, c’est apprendre à dissocier nos sentiments de leur objet, et à les vivre pour eux-mêmes. Il s’agit, comme on le dit de ceux qui ont perdu connaissance, de revenir à soi ! Ressentir vraiment ses sentiments est un chemin de connaissance de soi.



Denis Marquet,
www.nouvellescles.com


1 commentaire:

  1. Etre neutre et observateur donc.
    D'autres points s'ajoutent ils a ces 2 la?

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